Maud REVEL
Artiste accueillie en résidence de mars à mai 1997.
Née en 1973 à Lyon
Elle vit et travaille à Lyon
Les matins aux yeux boursouflés comme un temps si court de vivre, les histoires délicates qui s’en mêlent des mots sourds pour contrer les complications.
Et les explications.
Il ne se rappelle plus de la raison exacte de son existence.
Entrecoupé de soubresauts, ligoté, insistance, tu simules l’ombre portée de ton doute.
Léger flottement, la porte à toucher ravive. Disparition. Avalée. Par le sol, tu régurgites en taches, couleur piétinée en rond. L’aphasie, au placard, je la range de temps à autre pour respirer. Le peu se manifeste, absorbé dans l’immense de silence.
Sans crispation. Sans volonté. Ni abandon.
Réouvre les yeux, les deux du désir, pour voir ton corps miniature dans les bras d’une femme, gifles. Secoue, crie, diminue la rage, pose tes pieds. Et l’attente, te rappelles, faux.
Tu retournes tes lèvres au sommet. Le trou raccommode, des genoux qui traînent, dis-moi l’intention positive de l’élude. Échappe. Voiture volée, faussement, la permission insuffisante en heures obligatoires, tu n’es pas homologué, alors gare à toi en vitesse, laisse les clefs dessus et cours, cours, cours à ta perte…
Si peu est le temps pour y arriver. Si peu est le temps qu’il te reste les yeux hagards au monde.
Tu as perdu le reconnaître et le toit facile, tu es maigre sous ton drap jaune.
Laissé seul. Je fais les kilomètres en arrière. De peur de te tourner le dos.
Une évidence de l’absence.
Une brutalité.
Il était là, n’y est plus.
Se dire que c’est juste une intermittence.
Mauvaise vie comme la fille qui coure après. Soigne ton image tes dents ton reflet, soigne à rebrousse, déplais le jeu infâme, déplace et perds d’un coup la fausse volonté de marcher les pieds sans noeud. A leur insu. Pense à partir.
Je grelotte emmitouflée, rien ne sort à cause des intrusions invisibles des petites âmes qui se promènent et s’ennuient et chatouillent les pieds qui dépassent.
Le coussin soutient le poids de la tête et son sang fébrile et le sommeil si fort qu’il est inaccessible.
Se laissera pas aller.
Les yeux sont fixés sur le mur blanc-cellule, traces, brûlures, bleu de sommier et la voisine qui chante de vieilles sempiternelles. Je couvre avec du trompe-souvenir en larmes. Déshydratées, elles effacent et coulent en bassines rondes, les poissons argentés asphyxiés à l’intérieur. Le ventre en l’air, je souffle dessus et éternue. Une goutte transperce, se disperse avec les bêtes mangeuses de peaux mortes.
De l’eau bout.
J’attends qu’elle refroidisse dans ma tasse pour me brûler la langue, en regardant loin derrière, les autres choses, des baisers qui râpent et piquent . La tasse glisse dans mes tuyaux, colore mes dents avec un biscuit sec.
Va rire et vivre ailleurs que je marine encore entre mes deux matelas.
La nuit repoussée.
Des cheveux trop courts pour lui plaire ou sa langue trop raide pour le dire.
L’identité douteuse d’en face. Mes doigts à tâtons pour rencontrer le visage longtemps.
Il est parti en cendres avec les restes, en oriflamme.
Je reviens au-dessus comme un mal voulant en plus me lâcher, coller aux cheveux en grumeaux, ravage les yeux du rire et de naïveté.
Disparu. L’impossible à rendre.
Les volets restés en bâillement. Refermés seuls sur elle, sans aide, hasard, un pieu planté et faire un quart de tour pour persévérer en douleur, le visage par terre, la mâchoire sèche, le corps, anesthésiée. Autant de regrets.
Bouillonnant, la langue reliée pesant l’attrait jusqu’à l’oubli. Sa stèle couvre le lac entier par tous les temps. Voilier figé. Bleu de cuisine. Mousse de lit.
Matin où tu cries personne, tu suis ton chemin d’un pas plus rapide, tes pieds s’enfoncent dans le bitume.
Terrassée par le chagrin. Plus de moyen. Tu ne te rachèteras pas, la foire t’a vendu le dernier ustensile, crie au printemps, donne la moi, crie à l’aide, et la culpabilité sur mes lèvres, dans mes cauchemars, rejoins moi, les poissons nous attendent, à la mort, vomissure du mal, la langue pendue, tes pieds gonflés du sang qui stagne.
Les croix en champ aussi vert.
sacrifice douce pente et recueillement.
Pensées au ciel les fausses images des faux regrets, une pierre dans l’herbe.
Je te marche dessus, toujours suicidé, rien ne m’emmènera voiler. Songe à mensonge.
Et l’invention d’un amour t’arrache les larmes, deux grosses qui coulent d’un coup ou ça suffit.
Le chien à langue pendante. Le triste canapé. La chaise chocolat. Les fesses débordent, le soleil souffle et couine elle le gronde et l’attache à un piquet droit, il s’empale de son oeil triste la comète droit sur lui le regarde. Agoniser. Le fauteuil confortable est blanc. Comme un appel à l’extrême lourdeur, de la conscience.
Les magazines à migraine, les bulles contre, le frigidaire qui dégobille des odeurs incrustées.
Le soleil passe soufflant toujours la chlorophylle.
Les phrases déconcentrées.
Je le m’échappe d’un coup pour ne plus vivre puisqu’il est mort (depuis longtemps). Donne moi, je mangerai ma soupe après.
Grandir encore sans influence, sans attente, en vitesse, en entier.
L’espace hagard, l’aventure avortée de trop de paroles, les en l’air, les inutiles, les en trop, automatismes médiatiques, je retourne à l’intérieur et je pousse les murs de toutes mes forces, la face essoufflée, pousse et les pas courent des enfants en descente talonnés par les rageuses, tête enfouie dans leur cartable, face rageuse.
Attendre les choses.
Maudite, enrage sur toi.
Approche pour voir si tout ne s’effondre et tes injures, tes méchants mots me pulvérisent, ceux que tu tais me broient, la fuite continue.
De la volonté. De l’essoufflement.
Permanent, vide, néant, noir, la tête où sifflent des milliers vilains et perdus. Offre ton pardon, arrache ces maux du bout de langue, souffre un peu pour voir et fais un tour sur toi-même, j’aurai disparu et tu pourras souffler du bonheur inestimable que la brûlure que j’ai me consume loin.
Tentative d’auto-tuerie avec des clignotants bleus et les hommes rouges aux éponges multiples.
L’odeur doucereuse, la belle couleur qui t’attire du secours. Le chien qui manifeste et garde.
Porte ouverte aux cris qui font entrebâiller les autres qui ont trop de caféine dans les veines, les hurlements insupportables les font doubler de volume.
Mais c’est une habitude à saisir, les jambes en coton se dérobent à la vue de toutes les images de la morphine. Il fait trop chaud dans la cuisine en proportion.
Le pompier ramasse sa boite à outils et change de visage pour dire bonsoir aux gens qu’il croise et qu’il n’a pas à ressusciter, il a l’air de tenir debout.
Ou le choc.
Tu fais des images de l’ennui ou tu t’ennuies des heures durant, soufflant l’haleine en nuages collés au froid, des images qui se perdent parmi les objets familiers,
de pauvres mensonges,
et faux indices,
en pied de nez suspendu à ton visage.
Ils monteront les escaliers
un pas traînant en traînant l’autre,
le bois qui craque et un sourire
coupant l’attente
de longs jours immobiles.
Le reste
est
indifférent.
Les lèvres pincées, en attente du mouvement de la masse qui va l’enfoncer sous terre,
le couler dans le ciment des interstices, il sourit.
Des grimaces s’entrecroisent et s’émoussent, des poils poussent, envahissant l’espace des nuques.
L’air gras s’est abattu sur les doigts sans péché d’apparence. Translucide, attendre.
Se soumettre.
Docilement,
éliminer vite l’odeur qui lui donne la nausée et partir.
Un cadeau du ciel, lune décrochée de ses bras, mais ce n’était pas l’heure, pas l’endroit, pas de joie.
Une échelle, un échappatoire. Entend sa voix, ne sent pas sa bouche, ses lèvres closes et dociles à sa terreur. Des visages se lèvent, se précipitent, des épaules le soulèvent et le mènent hors.
Dans un long couloir.
Le posent à terre, des pellicules neigeuses, le noir du sol en est couvert, il éternue, elles collent à ses joues, les yeux révulsés, part en courant, l’angoisse dans son corps épileptique, les mains en avant, évitant les objets qui se propulsent à sa face, il s’écroule au pied.
Une étoile veille,
au-dessus mais elle est sournoise, prête à le foudroyer de sa mélancolie.
Il se laissera faire, il ne s’est jamais battu.
Et nerveux. Les sons du lointain s’accrochent aux oreilles et s’écartèlent la tête, se fracassent sur les persistants, indifférents. Elles ont des fuites qui laissent rentrer les démangeaisons et mains violentes
sur la figure qui cherche les hématomes. Frappe. Frappe, les pieds en rond ne suffisent plus pour
éloigner les intrusions dans la circonférence de survie asthmatique.
Il brasse la poussière, j’éternue, j’étouffe et aveugles vous croyez. Faire des efforts.
Tu t’appuies et titubes, courbaturé des coups reçus, ton âme est bleue, ton corps est jeune,
ne te fais pas de soucis, jamais tu ne t’en remettras.
Loupe et le dernier regard s’enfonce dans l’indicible espoir que les choses échappent tellement vite, le décors en carton je rentre dans et c’est la pierre si dure que les écorchures suintent du corps endolori incompréhensif. Ce qui arrive. Les efforts vains. Pour voir et saisir le sens du réel, il dévie, demi-tour, disparaît, lente et me paralyse et il est déjà si loin quand mes mains tendues comme des yeux se heurtent à des murs. Béton sournois avaleur d’esquisses cellules et meurtrières. Chaque départ est mort né.
Tu l’avortes et l’entorses, il te rattrape. Je n’ai rien résolu.
Maud REVEL n’a pas le souci de se situer ni de se référer à quelques figures tutélaires. Etre en marge ne lui coûte pas. Avouer certaines ignorances non plus.
D’ailleurs, elle ne cherche même pas à les corriger. Elle parle peu mais son regard questionne avec une douce insistance qui déconcerte. Elle donne la curieuse impression de prendre, pour approcher les choses et les êtres, le chemin qui en rapproche et en éloigne, qui prend son temps et ne se prive d’aucun détour.
Elle ne programme rien. Semble sans cesse en attente d’une rencontre, d’une surprise ou d’une incitation.
Ce qui compte, c’est de recueillir non de produire. Elle travaille avec ce qu’elle a sous la main et accorde son attention à des riens, des histoires sans importance et des énergies oubliées. Avec certes quelques hésitations, peut-être des doutes, Maud REVEL soupèse, mesure, s’assure d’une emprise. La modestie de son propos prend appui sur une écoute bienveillante, souple mais aussi pleine d’exigence.
Maud REVEL dessine ce qui croise son regard mais sans regarder la feuille de papier, sans être sûre de ce qu’elle dessine, éclabousse le mur d’une étrange constellation de punaises de couleur, présente des écritures illisibles, des textes effacés, comme absorbés par le mur qui ne restitue que la trace du passage de la gomme.
Elle appelle une forme incertaine, évanescente qui tente de contenir l’expérience fragile mais persistante de la disparition et de l’attente. Elle creuse un fond de réel ordinaire en quête d’une trouée d’invisible, d’une question à laquelle il ne sera pas répondu. L’oeuvre ne consiste donc pas à construire mais à faire disparaître non pas pour signifier les limites d’une relation au monde, à l’autre mais pour susciter une attente. Maud REVEL retire une partie de la substance de ce qu’elle décide de montrer et ne laisse se révéler qu’une pure énigme qui convie à s’interroger sur son centre inaccessible.
Ce sens de l’économie qui tourne le dos à toute stratégie nous oblige à renouer avec un niveau élémentaire du dire et du voir. L’absence ici ne prétend pas replier un message sur lui-même, le boucler à double tour par la suppression de ses conditions d’apparition. Elle ouvre, au contraire, une brèche dans ces écrans dressés par l’écriture et l’image. Maud REVEL ne cède pas à la tentation d’accumuler, d’amplifier et de croire ainsi à la possibilité d’excéder les frontières de la finitude. Elle enlève, retranche, transperce pour atteindre à cette infime présence des choses et des émotions contenues dans une simple respiration.
Pollen

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée
Catalogue 12 pages + couverture – 21 x 16,5 cm
4 photographies
Texte : Didier Arnaudet