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Ludovic LIGNON

Artiste accueilli en résidence de novembre 1996 à janvier 1997. Ludovic LIGNON est né en 1966 à Soissons. Vit et travaille à Nice.

 

Ludovic LIGNON est le troisième artiste, invité en résidence à Monflanquin après Xavier Boussiron et Pascal Broccolichi, à intégrer l’élément sonore dans sa pratique. Ni spécifiquement musicien, ni ”plasticien du son”, ces artistes utilisent le son comme un matériau capable de perturber le caractère figé de l’objet d’art, tel qu’il peut se lire dans la peinture, la sculpture ou même quelque fois dans l’installation. Le son est introduit également comme un matériau susceptible de proposer au spectateur d’autres modes d’approche de l’oeuvre d’art en ouvrant le champ de perception du visuel à l’auditif, du spatial au temporel, du matériel à l’immatériel, du passif à l’actif. 
Le spectateur, sollicité par la diffusion sonore, se trouve lui même en situation dynamique par rapport à l’oeuvre qui lui est proposée.

Le travail de Ludovic LIGNON est, si l’on peut dire, plus subtil en ce sens que le son n’est pas nécessairement utilisé pour ses propriétés auditives, mais aussi, parfois pour les autres qualités qui le constituent comme la fréquence, la vibration, ou tout simplement, la durée.
Ainsi Ludovic LIGNON a-t-il réalisé à l’occasion d’une exposition, en 1994, une oeuvre, intitulée Bruit pour éclairage d’exposition , où l’intensité d’un son inaudible agissait sur le dispositif d’éclairage de la salle d’exposition par ailleurs, restée vide . Dans cette expérience, le spectateur était en mesure de saisir et de lire la structure du son par la modulation continue des vibrations lumineuses. 

Une autre oeuvre de 1990-91, entièrement constituée de laine de roche se présentait sous la forme d’un “tableau”, de grandes dimensions (600×360 cm) et d’une épaisseur de 8 cm, sans cadre, accroché au mur. Le spectateur resté à distance de l’oeuvre pouvait l’appréhender comme une simple peinture matiériste, jaunâtre et filandreuse, mais s’il choisissait de s’approcher de la “toile”, il prenait conscience, petit à petit, de la modification imperceptible de l’environnement. La laine de roche, par l’absorption des vibrations sonores, provoquait une perturbation de l’espace acoustique. Ainsi l’oeuvre, en créant un espace plastique et sonore, mettait-elle en jeu une dimension visuelle et auditive. La “toile” sortait des limites du plan pour créer un espace sensible devant elle, englobant le spectateur. 

Cette pièce aux dimensions variables a pris, en d’autres occasions, l’aspect d’un mur. Dans ce cas, c’est l’espace architectural qui est convoqué et non plus celui du tableau. Le mur entièrement habillé de laine de roche absorbe les sons et restitue au spectateur un espace sonore modifié.

L’artiste a également développé cette expérience en disposant dans l’espace une structure en bois aggloméré, ayant la forme d’une porte, d’une épaisseur de 50 cm et bourrée de laine de roche. Le visiteur, invité à franchir la porte, pouvait percevoir le son comme suspendu, étouffé, l’instant de son passage ou bien stationner à l’intérieur comme dans un véritable caisson isolant.
C’est une constante dans le travail de Ludovic LIGNON que de réutiliser, modifier ou transposer des pièces “anciennes” de manière à les adapter aux exigences d’un nouveau lieu d’exposition et à poursuivre, ainsi, leur expérimentation. 

A la modification de l’espace sonore existant, correspondant à un “retrait” du son dans la perception auditive, s’ajoute, dans le travail de Ludovic LIGNON, une production de sons, souvent générés par un système électronique et diffusés dans un espace dans lequel se trouve immergé le spectateur. 

Une oeuvre significative, est celle réalisée, en 1995, à l’occasion de l’exposition “Murmures” à la Villa Arson, où Ludovic LIGNON a plongé le spectateur dans un espace réunissant à la fois l’expérience lumineuse de Bruit pour éclairage d’exposition, celle du mur accoustique, laine de roche, en créant, pour l’occasion, des couloirs dans lesquels les spectateurs pouvaient stationner et s’isoler des “bruits” extérieurs, et enfin en diffusant, par l’intermédiaire de haut-parleurs placées à quatre endroits différents, le même son synthétique, décalé dans l’espace et dans le temps, très aiguë et de modulations variées . Vibrations lumineuses et sonores ne cessent de se modifier mais aussi de se superposer sans jamais atteindre la saturation. 
Sollicité en permanence, même et surtout lorsque la lumière et le son s’affaiblissent, parfois jusqu’au silence et à l’obscurité, le spectateur doit se positionner à tout moment dans ce nouvel espace. 

Le son et la lumière ne racontent rien, ils ne sont pas illustratifs, ils ne créent pas non plus d’atmosphère. Dans l’exposition la lumière “n’éclaire” rien, ni mur, ni objet et on “n’écoute” pas d’avantage le son diffusé. 
Le son et la lumière ont leur existence propre, un corps, et se développent librement pourrait-on dire, dans l’espace qui les reçoit et où ils se croisent, se superposent, interfèrent, apparaissent et disparaissent.

La lumière et le son n’existent d’ailleurs pas réellement, c’est d’avantage la fréquence, la vibration, la matière qu’ils produisent que nous percevons.

Pollen

 

De quoi relève ce désir d’en finir avec l’évidence du visible ? D’une certaine brisure dans l’ordre du temps qui ouvre à ce monde problématique de l’attente. Ludovic LIGNON développe cette forme de rupture, de vide et d’indécision qui consiste à ne rien coaguler ni dans une matière ni dans une vision mais à s’en tenir à une sorte d’interrogation prolongée sur ce qui vibre à la surface des choses et de la vie. Il entrecroise des données précaires, des échos, des apparitions et des disparitions, des gains et des pertes, et en déchire le tissage pour ne pas réduire sa visée à un simple mode d’emploi. Qu’on ne se méprenne pas : il n’est pas question ici d’une activité d’usure et d’élimination. Ludovic LIGNON procède par fulgurances et percées, par détermination de seuils et de passages sans cesser de susciter l’imaginaire comme une pierre jetée dans une eau calme qui donne naissance à une multitude de cercles concentriques.
L’intervention prend donc l’allure d’une proposition d’énergie, d’être et de sens : quelque chose comme le pouls imprévisible d’une émotion ou d’une pensée. Elle occupe un espace, travaille sur une durée, implique et gère une attention, néanmoins sans peser, sans napper, avec une extrême retenue. Son exigence découle de ce congé qu’elle ne cesse de se donner à elle-même.
Ludovic LIGNON revendique une pratique musicale et utilise aussi le son et la lumière artificielle comme des outils, des codes ou des signes de scansion, d’incitation ou de modification.
Il dresse un immense mur en laine de roche et amène le spectateur à appréhender sa frontalité par la curieuse articulation d’une approche et d’une écoute. Il associe des ponctuations lumineuses et acoustiques pour créer dans un espace des dimensions poétiques et provoquer des parcours porteurs de signification et de connaissance. Il génère une qualité d’exposition qui repose sur de brèves interruptions d’éclairage et l’appréhension de toutes les résonances de l’espace. Chez Ludovic LIGNON, l’attente prépare à la révélation et à la surprise. Mais ce qui arrive (ou n’arrive pas) ne se manifeste pas avec la prétention de transformer de manière spectaculaire l’ordre des choses. Mélange d’espace et de temps, de combinaisons de situations et d’expériences, la révélation surprend par sa concision, sa minceur, son évanescence. L’ampleur se situe ailleurs. Dans cette puissance d’accueil, de compréhension sensible qui découvre les contours inconnus des devenirs possibles. 

Didier ARNAUDET

 

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée –
Plaquette 4 pages – 21 x 29,5 cm
3 photographies