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Isabel BRETONES


Artiste accueilli en résidence de novembre 1995 à janvier 1996, Isabel BRETONES est née en 1967.
Elle vit et travaille à Berlin.

Chère Isabel,
Vous souvenez-vous d’un des plus populaires contes des frères Grimm, celui de Hänsel et de Gretel ?
Abandonnés au fin fond de la forêt, les deux enfants découvrent une maison de pain, avec un toit couvert de gâteaux et des fenêtres en sucre. Hänsel commence par manger des pans du toit tandis que Gretel s’attaque à une fenêtre. Mais, sous la saveur douce et agréable du sucre, se cache la présence maléfique de la sorcière ogresse. Bien sûr, vous savez que le pouvoir du merveilleux n’est pas là pour innocenter le monde. Comme Hänsel et Gretel, votre expérience de l’obscurité passe par la traversée brutale de l’espace énigmatique d’une clarté rassurante. Vous prenez donc le risque d’une forme frivole et n’interposez que de fragiles obstacles entre le familier et le singulier. Ce choix tend à faire coïncider l’épreuve d’une simplicité sans cesse sous la menace du réel et celle d’une certaine légèreté qui répond à l’incertitude cruciale de notre existence.
Sur quoi souhaitez-vous intervenir ?
Sans doute sur ce que cache l’ordre du monde et des choses. Par quelle voie ? Par ces portes que l’incertitude laisse entrouvertes. Pour vous, la manière qui vous semble la plus sûre de montrer l’envers du monde, c’est d’abord de lui donner une surface nette et appétissante. 
D’où cette attirance pour le sucre mais aussi le paradis perdu figé dans un étrange sommeil au plus profond du miroir. Mais vous n’ignorez pas que l’une des choses les plus étonnantes de cet univers des caprices de la fantaisie poétique, c’est la violence implicite qu’il recèle. Comme n’importe qu’elle matière vivante, le sucre s’avère danse d’une vie en suspension, mais aussi enclin à l’altération et à la décomposition cruelle. Le désir ne résiste pas à la corruption du temps. Que pèse alors la sensualité qui se dégage de vos poires en sucre soufflé face à l’impatience des mécanismes déterminés de la détérioration et de la disparition ? Vous connaissez aussi tous les dangers d’une vraie transparence. Vous n’hésitez pas à placer au centre de vos sucettes l’image de la marque de coups sur la peau. Mais alors êtes-vous encore bien sûrs d’être du côté de Hänsel et de Gretel ?
Que faire de ce temps destructeur qui arrache aux êtres leur identité et abrège toute chance de bonheur sinon le nommer, le cadrer, le cerner et l’impliquer ainsi dans une qualité de lumière ? Bien que personne ne soit à l’abri de ses pièges, vous n’avez pas à craindre cette logique faite d’éclaircies et d’illusions, d’élans et de chutes, d’espérance et de résignation. Car comment pourrez-vous autrement signifier que le désir ne s’avoue ni vaincu ni vainqueur ? Avec mon amicale attention,

Didier ARNAUDET

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée –
Plaquette 8 pages – 11×22 cm
3 photographies
Texte : Didier Arnaudet