Guy CHEVALIER
Artiste accueilli en résidence de novembre 1994 à janvier 1995. Guy CHEVALIER est né en 1964.
Vit et travaille à Bordeaux
Une distance qui dégage et rapproche.
Rappelons d’abord une simple vérité : toute oeuvre d’art commence par une affaire de cuisine. Soulignons donc l’importance de la maîtrise des contenants et des contenus, des récipients et des ustensiles, du mélange des substances, du choix des cuissons, du dosage des épices et de la qualité des sucs et des couleurs. Cette étape de la préparation ne préoccupe pas outre mesure Guy CHEVALIER même s’il ne se prive de mettre parfois “la main à la pâte”. Ce qui l’intéresse, c’est l’étape suivante, celle de la distribution et de la consommation. De la cuisine, de cet espace de la recette, on passe à la machine économique, à des mécanismes de production, d’échange et de consommation dans une structure sociale et des interdépendances entre ces mécanismes et cette structure. Ce qui rend l’échange possible, c’est un système de valeurs et de prix comme base commune de comparaison et de transaction. La valeur s’instaure, selon les économistes, à la “convergence de la rareté et du désir”. Le prix constitue l’expression de cette valeur d’échange. La valeur d’une oeuvre d’art repose sur l’intrication complexe entre l’émotion esthétique, l’apport artistique, l’argument historique, l’implication cognitive, l’inscription sociale et la dimension économique. Guy CHEVALIER perturbe ces principes de mise en valeur. Il fonde une banque et s’engage à constituer son fonds avec des oeuvres achetées à des artistes reconnus et ensuite effacées. En contrepartie de ce stock d’oeuvres “désactivées”, il invente une monnaie intitulée : “unité de proximité estimable”. Sous l’enseigne de la “Sublimated-States Banque”, il invite la population de Monflanquin à acquérir cent vingt peintures pour donner une existence collective et partagée à une “ligne d’horizon” ou propose une broderie de la grille du loto comme une clef possible à une vie comblée, idéale. Guy CHEVALIER amorce et équilibre ainsi les deux flux complémentaires à partir desquels fonctionne la machine économique : le flux d’énergie, de matières et d’informations et le flux de monnaie qui résulte des échanges et des transactions. Mais cette reconstitution de la démarche économique “standard” ne se réfère pas à une identification précise de la valeur d’échange. Elle ne demande aucune régulation, n’entraîne ni séduction ni rentabilité, mais provoque l’irruption de la dépossession, de l’insouciance, de l’imprévisible, de la perte généreuse. Par ses propositions décentrées, parfois naïves, par ses ruptures utopiques, Guy CHEVALIER refuse les pratiques de consensus, les situations de repli et d’impuissance, et mesure sa capacité à intervenir sur le monde. Il convoque la question de l’art non pas dans une perspective d’une activité contestataire mais comme un rêve qui décloisonne, interroge et anticipe, comme une distance qui dégage et rapproche, et remobilise la pensée et le regard.
Didier ARNAUDET

Edition réalisée dans le cadre de la résidence à Pollen – Epuisée –
Plaquette 8 pages – 11 x 22 cm
2 photographies
Texte : Didier Arnaudet